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Protocole complément en maternité

Vous pouvez imprimer ce document et le faire parvenir à l’équipe de maternité si elle estime que le bébé doit être complémenté. Cela pourrait éviter des erreurs qui peuvent mettre en péril l’allaitement. N’hésitez pas à faire circuler l’information. Plus les équipes seront informées, plus les mamans et les bébés seront mieux accompagnés.

Protocole # 3 de l’Academy of Breastfeeding Medicine
Recommandations pour le don de compléments en maternité 
 chez le nouveau-né à terme et en bonne santé allaité.  

 ABM Clinical Protocol #3 : Supplementary feedings in the healthy term breastfed neonate, revised 2017.  Kellams A et al. Breastfeed Med 2017 ; 12(4) 188-98: .  

L’un des principaux objectifs de l’Academy of Breastfeeding Medicine est le développement de protocoles cliniques portant sur le suivi de problèmes médicaux courants susceptibles d’avoir un impact sur le succès de l’allaitement. Ces protocoles sont destinés uniquement à servir de recommandations pour le suivi des mères allaitantes et de leurs enfants, et ne constituent pas un mode exclusif de traitement ou un standard pour les soins médicaux. Des variations dans le traitement pourront être appropriées en fonction des besoins individuels du patient.

Définitions des termes utilisés dans ce protocole

Allaitement exclusif : alimentation exclusive avec du lait maternel (au sein ou lait maternel exprimé), ni eau ni autre produit à l’exception de vitamines, minéraux ou médicaments.

Suppléments : aliments donnés à la place du lait maternel chez un enfant avant 6 mois (durée recommandée pour l’allaitement exclusif). Cela peut inclure du lait humain provenant d’un lactarium, une formule lactée commerciale ou d’autres substituts du lait maternel (comme de l’eau glucosée).

Compléments : aliments  solides ou semi-solides donnés à l’enfant en plus du lait maternel, lorsque ce dernier ne suffit plus à couvrir les besoins nutritionnels de l’enfant.

Enfant à terme : dans ce protocole, « enfant à terme » inclut également les enfants à terme précoce (nés entre 37 et 38 semaines et 6 jours).

Contexte

Si on leur prodigue l’opportunité, les informations nécessaires et le soutien adéquat, l’énorme majorité des mères et des enfants réussiront à démarrer l’allaitement. Bien que certains enfants puissent ne pas réussir à prendre le sein et à téter pendant les premières 24 heures, il sera possible de démarrer l’allaitement avec du temps, une évaluation correcte de la situation, et une intervention minime. L’allaitement exclusif pendant les 6 premiers mois est corrélé à la protection la plus élevée vis-à-vis de nombreux problèmes de santé à la fois chez la mère et l’enfant (1-3). Malheureusement, le don de suppléments de lait industriel est courant en maternité (4-5), en dépit des recommandations largement répandues qui déconseillent cette pratique (6-8). Le don précoce d’une formule lactée commerciale en supplément est corrélé à une baisse du taux d’allaitement exclusif pendant les 6 premiers mois, et à une durée globalement plus courte d’allaitement (9-10). En conséquence, les hôpitaux, les services de santé et les organisations communautaires qui font la promotion de l’allaitement ont un rôle majeur à jouer pour augmenter la durée et le caractère exclusif de l’allaitement (10). L’un des moyens d’atteindre cet objectif est de respecter les 10 Conditions pour le succès de l’allaitement (fondement de l’Initiative Hôpital Ami des Bébés), tant dans les services hospitaliers que dans la communauté.   

Physiologie du nouveau-né :

De petites quantités de colostrum sont parfaitement adaptées au volume de l’estomac d’un nouveau-né (11-13), et suffisent pour prévenir la survenue d’une hypoglycémie chez un enfant né à terme et en bonne santé, avec un poids normal pour son âge gestationnel (14-15). Cela rend également l’apprentissage de la coordination succion / respiration / déglutition plus facile à apprendre par le nouveau-né. Les nouveau-nés à terme et en bonne santé ont aussi des réserves d’eau suffisantes pour couvrir leurs besoins métaboliques, même sous les climats chauds (16-18). Les liquides nécessaires pour remplacer les pertes liquidiennes insensibles sont apportés en quantité adéquate par le lait maternel à lui seul (7, 18). Les nouveau-nés perdent du poids en raison d’une diurèse physiologique du liquide extracellulaire, dans le cadre de l’adaptation à la vie extra-utérine et à l’élimination du méconium. Dans une étude prospective menée sur des mères américaines ayant accouché dans un service ayant le label Hôpital Ami des Bébés et qui bénéficiaient d’un soutien optimal pour l’alimentation infantile, la perte de poids moyenne des bébés exclusivement allaités était de 5,5 % ; cependant, plus de 20 % des enfants allaités en bonne santé ont perdu plus de 7 % de leur poids de naissance (19). Une étude menée sur plus de 160 000 enfants allaités et en bonne santé a permis l’établissement d’un nomogramme pour l’évolution du poids heure par heure chez les enfants exclusivement allaités, qui montrait entre autres que les enfants nés par césarienne perdaient plus de poids que les enfants nés par voie basse. Dans cette étude, presque 5 % des enfants nés par voie basse et > 10 % de ceux nés par césarienne avaient perdu ≥ 10 % de leur poids de naissance à 48 heures post-partum (20). Les enfants allaités revenaient à leur poids de naissance en moyenne à 8,3 jours (intervalle de confiance à 95 % : 7,7 à 8,9 jours), et 97,5 % avaient repris leur poids de naissance à 21 jours (21). Les nourrissons doivent être suivis de près pour identifier ceux qui sortent des moyennes courantes, mais la majorité des enfants allaités n’auront pas besoin de suppléments. Il faut également noter qu’une perte de poids excessive chez un nouveau-né peut être liée à un surplus liquidien chez la mère (administration de liquides en intraveineuse), et ne sera donc pas un indicateur fiable de la réussite ou de l’échec de l’allaitement (22-23).

Table 1. Possibles indications pour une supplémentation chez l’enfant né à terme (37 à 41 semaines et 6 jours) et en bonne santé

1. Indications liées à l’enfant :

a. Hypoglycémie asymptomatique vérifiée sur une prise de sang et par un dosage effectué en laboratoire (pas avec une méthode au lit du patient), qui ne répond pas à des tétées suffisamment fréquentes. À noter que le gel de dextrose à 40 % administré par voie orale est efficace pour augmenter la glycémie dans ce cadre, augmente le taux d’allaitement exclusif après la sortie de maternité, et semble n’induire aucun effet secondaire (78). Les nourrissons symptomatiques ou dont la glycémie est < 1,4 mmol/l (< 25 mg/dl) pendant les 4 premières heures ou < 2 mmol/l (35 mg/dl) après 4 heures doivent être traités par glucose en IV (15). L’allaitement devrait être poursuivi pendant l’administration de glucose en intraveineuse.

b. Signes ou symptômes pouvant indiquer un apport inadéquat de lait :

  • I. Signes cliniques et biologiques de déshydratation (par exemple hypernatrémie, succion faible, léthargie, etc.), qui ne s’améliorent pas après une évaluation détaillée et une gestion correcte de l’allaitement (79).
  • II. Perte de poids ≥ 8-10% du poids de naissance (à J5 – 120 heures ou par la suite), ou perte de poids supérieure au 75e percentile pour l’âge.

– 1. Bien qu’une perte de poids de 8-10% du poids de naissance peut être dans les limites de la normale si tout va bien par ailleurs et si l’examen clinique est normal, c’est un signe indiquant la nécessité d’une évaluation détaillée et du besoin éventuel d’une aide pour l’allaitement. Une perte de poids plus importante que ces chiffres peut être le signe d’un transfert inadéquat du lait ou d’une faible production lactée, mais une évaluation détaillée est nécessaire avant de prescrire automatiquement une supplémentation (19, 20, 80).

– 2. Des nomogrammes pour la perte de poids heure par heure chez les nouveau-nés en bonne santé peuvent être trouvés à : www.newbornweight.org (20, 80).

  • III. Selles rares, moins de 4 selles à J4, ou présence de selles toujours méconiales à J5 – 120 heures (48, 80).

– 1. Les selles et les urines doivent être surveillées au moins pendant la phase de démarrage de la production lactée. Même s’il existe d’importantes variations suivant les enfants, ce suivi pourra être utile pour évaluer l’adéquation de leurs apports (81, 82 – II).

-2. Les nouveau-nés qui ont des selles plus fréquentes pendant les 5 premiers jours post-partum perdent habituellement moins de poids au départ, leurs selles deviennent plus rapidement jaunes, et ils reprennent plus rapidement leur poids de naissance (83).

c. Hyperbilirubinémie (voir le protocole # 22 de l’Academy of Breastfeeding Medicine sur la gestion de l’ictère.

  • I. Ictère néonatal lié à des apports insuffisants chez un bébé qui ne reçoit pas suffisamment de lait en dépit des interventions adéquates. Typiquement, cet ictère débute entre 2 et 5 jours post-partum, et il s’accompagne de la poursuite de la perte de poids, et de selles et urines peu fréquentes, les urines pouvant contenir des cristaux d’acide urique.
  • II. Ictère au lait maternel lorsque le taux de bilirubine dépasse 340 à 425 µmol/l (20 à 25 mg/dl) chez un enfant par ailleurs en bonne santé, et que le médecin estime qu’une suspension diagnostique / thérapeutique de l’allaitement pourrait être utile. La gestion diagnostique de première intention en pareil cas devrait inclure des analyses en laboratoire plutôt que l’interruption de l’allaitement.

d. Lorsqu’une supplémentation en macronutriments est indiquée, comme par exemple en cas d’anomalie métabolique congénitale chez l’enfant.

2. Indications liées à la mère :

a. Montée de lait tardive (après J3-J5 – 72-120 heures) avec apports insuffisants à l’enfant (80). 

b. Agénésie ou hypogénésie mammaire (moins de 5 % des femmes – insuffisance primaire de la lactation) détectée devant le volume anormal des seins, l’absence de modifications pendant la grossesse et une montée de lait absente ou faible (84, 85).

c. Existence d’une pathologie ou d’une chirurgie mammaire pouvant induire une production lactée insuffisante (84).

d. Suspension de l’allaitement en raison de la prise de certains médicaments (chimiothérapie par exemple) ou d’une séparation temporaire de la mère et de l’enfant lorsque du lait maternel exprimé n’est pas disponible. 

e. Douleur intolérable pendant les tétées, non soulagée par les interventions.

Gestion précoce de la nouvelle mère allaitante :

Certaines mères allaitantes pourront se poser des questions sur l’adéquation du colostrum, et pourront avoir l’impression qu’elles n’ont pas assez de lait (24-25). Elles pourront recevoir des conseils contradictoires sur la nécessité d’une supplémentation, et auront alors besoin d’être rassurées, d’être aidées sur le plan de la technique d’allaitement, et de recevoir des informations sur la physiologie normale de l’allaitement et sur le comportement du bébé allaité. Le don inapproprié de suppléments peut saper la confiance de la mère en sa capacité à couvrir les besoins nutritionnels de son bébé (26), et lui transmettre un message inapproprié qui pourra l’amener à poursuivre le don de suppléments à son bébé allaité après le retour au domicile (27). L’introduction d’une formule lactée commerciale ou d’autres suppléments pourra diminuer la fréquence des tétées, et donc diminuer la stimulation des seins maternels, ce qui induira une baisse de la production lactée (28).  

Les nouvelles mères qui ont un faible niveau de confiance en elles sont très vulnérables aux influences extérieures, tels que le conseil de donner un supplément à leur bébé allaité, comme de l’eau sucrée ou une formule lactée commerciale. Des professionnels de santé bien intentionnés pourront recommander les suppléments comme moyen de protéger la mère de la fatigue et du stress, alors que cela entre en conflit avec leur rôle dans la promotion de l’allaitement (29-31). Divers facteurs sociodémographiques sont corrélés avec le don d’une formule lactée commerciale en supplément pendant le séjour en maternité, et cela peut varier en fonction de la localisation géographique. Il est important de reconnaître et de gérer ces facteurs en respectant la perception culturelle des personnes concernées. Les raisons inappropriées pour la supplémentation et les risques que cela fait courir sont multiples (Table A1 dans l’appendice).

Il y a des circonstances cliniques où une évaluation soigneuse de l’allaitement pourra être nécessaire, mais où une SUPPLÉMENTATION N’EST PAS INDIQUÉE, comme :

1. L’enfant né à terme avec un poids normal pour son âge gestationnel lorsque le bébé tète bien, a des urines et des selles suffisamment fréquentes, dont la perte de poids est dans la norme et dont le taux de bilirubine ne constitue pas un problème (en fonction de l’âge gestationnel, du temps écoulé depuis la naissance et d’éventuels facteurs de risque – 32). 

• Les nouveau-nés dorment habituellement après une période initiale de réveil d’environ 2 heures après la naissance. Ensuite, ils ont des cycles d’éveil et de sommeil de durée variable, avec une ou deux périodes d’éveil dans les 10 heures qui suivent, qu’ils soient nourris ou non (33).

• Il est préférable de prêter attention aux signes précoces de faim manifestés par l’enfant, de garder l’enfant en peau à peau dans de bonnes conditions de sécurité lorsque sa mère est éveillée, de l’éveiller doucement pour tenter de le mettre au sein toutes les 2 à 3 heures, d’apprendre à la mère comment exprimer manuellement son colostrum (34) plutôt que de lui donner automatiquement un supplément après 6, 8, 12 ou même 24 heures.

• Augmenter le contact peau à peau peut encourager des tétées plus fréquentes.

• Une perte de poids de 10 % du poids de naissance n’implique pas le don automatique d’un supplément, mais cela indique la nécessité d’une évaluation de l’enfant. 

2. L’enfant qui est agité la nuit ou qui semble vouloir téter en permanence pendant des heures d’affilée.

• Les tétées groupées (plusieurs tétées très rapprochées) sont un comportement normal chez les nouveau-nés, mais une évaluation des tétées pourra être nécessaire afin d’observer le comportement du bébé au sein (35) et le confort de la mère, pour s’assurer que l’enfant prend le sein suffisamment loin en bouche et tète efficacement.

• L’agitation de certains nourrissons est un signe de douleur, qui devra être traitée.

3. Mère somnolente ou fatiguée.

• Un certain degré de fatigue est normal chez une nouvelle mère. Toutefois, supprimer la cohabitation mèreenfant en raison de la fatigue maternelle n’augmente pas la durée maternelle de sommeil (36) et abaisse le taux d’allaitement exclusif (37). Une fatigue extrême doit induire une évaluation pour la sécurité de la mère et du bébé, et éviter les chutes et la suffocation (38).

• Une gestion de l’allaitement qui optimise la succion de l’enfant au sein permettra à l’enfant d’être plus satisfait ET à la mère d’obtenir davantage de repos. 

Les recommandations suivantes portent sur les stratégies destinées à prévenir le don de suppléments (voir aussi l’Appendice 2), ainsi que les indications et les méthodes pour la supplémentation des enfants nés à terme et en bonne santé (37 à 42 semaines) et allaités. Il existe peu d’indications réelles pour la supplémentation en pareil cas (7, 39). La Table 1 liste les indications possibles pour l’administration de suppléments. Le médecin devra décider au cas par cas si les bénéfices cliniques sont supérieurs aux conséquences négatives potentielles des suppléments.

Recommandations

Etape 1. Prévenir la nécessité de supplémenter

1. Les données concernant l’intérêt du don anténatal d’information et du soutien en maternité sont mixtes mais globalement plutôt positives, et montrent que cela peut augmenter le taux d’allaitement exclusif (40-42 – I) (le niveau de preuve : I, II-1, II-2, II-3 et III donné entre parenthèses selon les définitions de la US Preventive Task Force, 43).

2. Tous les membres de l’équipe soignante travaillant auprès de femmes en post-partum devraient être capables d’évaluer l’allaitement et d’aider les mères, en particulier lorsque des soignants plus compétents en allaitement ne sont pas disponibles. 

3. Tant les mères que les professionnels de santé devraient connaître les risques d’une supplémentation non nécessaire.

4. Les enfants en bonne santé devraient être mis en peau à peau contre leur mère si elle est réveillée et alerte immédiatement après la naissance pour faciliter la première tétée (7, 44 – I). Le délai entre la naissance et la première mise au sein est un important facteur prédictif de l’utilisation d’une formule lactée commerciale, et peut avoir un impact négatif sur la future production lactée (10, 45, 46 – II-3, II-2, II-3).

5. Idéalement, la mère et l’enfant devraient cohabiter 24 heures sur 24 afin de répondre aux manifestations de faim de l’enfant, d’augmenter les opportunités de mises au sein, et de favoriser l’activation de la lactation (stade II de la lactogenèse ; 7, 39, 47, 48 – III).

6. S’il est inévitable de séparer un bébé de sa mère, ou si la production lactée est mal établie ou que le transfert de lait est inadéquat, la mère aura besoin d’informations et d’encouragements pour tirer son lait manuellement ou avec un tire-lait, afin de stimuler sa production lactée et de fournir du lait maternel exprimé qui sera donné à son bébé (7, 39, 48, 49 – III). Cette stratégie devrait être débutée dans la 1ère heure de vie (45 – II-2).

Etape 2. Evaluer les indicateurs précoces de l’éventuelle nécessité de supplémenter

1. Le professionnel de santé qui suit l’enfant devrait être averti si la mère ou l’enfant présentent l’un des critères pour le don de suppléments listés Table 1.

2. Tous les enfants devraient être soigneusement évalués sur le plan de la position au sein, de la prise du sein et du transfert de lait avant le don d’un supplément. Cette évaluation devrait être menée par un professionnel de santé compétent en matière de gestion de l’allaitement chaque fois que possible (7, 48).

Etape 3. Déterminer si un supplément est nécessaire, et le donner avec précaution

1. Le statut de l’enfant nécessitant une supplémentation devra être déterminé, et toute décision sera prise au cas par cas (recommandations Table 1).

2. Les services hospitaliers devraient envisager sérieusement d’instituer une réglementation en matière de don de suppléments, afin de requérir une ordonnance du pédiatre lorsque le supplément est indiqué médicalement, ainsi que l’accord informé de la mère lorsque des suppléments ne sont pas médicalement nécessaires. Il est de la responsabilité des professionnels de santé de documenter les décisions parentales, et de soutenir la mère à partir du moment où elle a pris sa décision (50, 51 – III). 

3. Tout don de supplément devrait être soigneusement noté dans le dossier de l’enfant : nature du complément, volume, méthode et raison médicale ou non de ce don.

4. Lorsque le don d’un supplément est médicalement nécessaire, les principaux objectifs sont de nourrir le bébé et d’augmenter la production lactée maternelle, pendant que l’on recherche le problème à l’origine de la faible production lactée, des problèmes de succion ou du transfert inadéquat de lait. La supplémentation devrait être faite d’une façon qui permet de préserver l’allaitement, par exemple en limitant le volume donné à ce qui est nécessaire pour la physiologie du nouveau-né normal, en évitant l’utilisation de tétines (52 – I), en stimulant les seins de la mère par l’expression manuelle ou avec un tire-lait, et en poursuivant les mises au sein de l’enfant.

5. Dans l’idéal, la mère devra tirer son lait régulièrement, habituellement chaque fois que son bébé reçoit un supplément, ou au moins 8 fois par jour si le bébé ne prend pas le sein. Les seins devraient être complètement exprimés à chaque fois (53 – II-2). Un engorgement important doit être évité autant que faire se peut, car cela risque de compromettre encore plus la mise en place d’une production lactée adéquate, et peut induire d’autres complications (54 – III).

6. Les critères pour arrêter la supplémentation devraient être envisagés dès le moment où on prend la décision de supplémenter, et devraient être discutés avec les parents. Arrêter la supplémentation peut être une source d’anxiété pour les parents et les soignants. Les facteurs sous-jacents devraient être pris en compte, et les mères devraient être aidées sur le plan de la production lactée, de la mise au sein et du confort, pendant que l’on évalue les signes montrant que le bébé est correctement nourri. Il est important de suivre étroitement la mère et l’enfant. 

7. Lorsque la décision de supplémenter n’est pas médicalement indiquée (Table 1), les discussions sur le sujet avec la mère seront documentées par l’équipe soignante, et la mère sera totalement soutenue dans sa décision informée.

Choix du supplément

1. Le lait tiré par la mère représente le premier choix pour fournir du lait supplémentaire au bébé allaité (7, 55 – III). L’expression manuelle pourra permettre d’obtenir un volume plus important qu’un tire-lait pendant les premiers jours post-partum, et pourra augmenter la quantité de lait disponible (56). Des massages du sein et/ou la compression du sein pendant l’expression avec un tire-lait pourront également permettre d’obtenir davantage de lait (57 – II-3).

2. Si la mère n’a pas suffisamment de colostrum ou de lait pour couvrir les besoins de son bébé et que la supplémentation est nécessaire, du lait humain pasteurisé provenant d’un lactarium est préférable à d’autres types de suppléments (55). 

3. Lorsque du lait humain provenant de donneuses n’est pas disponible ou qu’un tel lait n’est pas approprié, les hydrolysats de protéines pourraient être préférables aux formules lactées commerciales standards, afin d’éviter d’exposer l’enfant aux protéines du lait de vache, et d’abaisser plus rapidement le taux de bilirubine (58 – II-2), bien que des données récentes soient moins favorables concernant leur impact pour la prévention des pathologies allergiques (59 – I). L’utilisation de ce type de formule lactée commerciale pourra également transmettre le message psychologique selon lequel la supplémentation est une pratique temporaire et non une instauration permanence du don de lait industriel. 

4. La supplémentation avec de l’eau sucrée n’est pas appropriée car elle n’apporte pas suffisamment d’éléments nutritifs, elle n’abaisse pas la bilirubinémie (60, 61) et elle peut induire une hyponatrémie.

5. Le praticien devra soigneusement peser les risques et avantages potentiels liés à l’utilisation d’autres liquides tels qu’une formule lactée commerciale à base de lait de vache ou de soja, ou un hydrolysat, en fonction des ressources disponibles, de l’âge de l’enfant, de la quantité nécessaire, de la durée prévisible de supplémentation, et de l’impact éventuel sur la mise en route de l’allaitement.

Volume de suppléments

1. Un certain nombre d’études nous permettent d’avoir une idée des apports du bébé au sein au fil du temps. Dans la plupart des études, il existe d’importantes variations dans ces apports, les enfants nourris avec une formule lactée commerciale prenant habituellement des volumes plus importants que les enfants allaités (62-66 – II-3). 

2. Les enfants nourris avec une formule lactée commerciale à volonté ont habituellement des apports beaucoup plus élevés que les bébés allaités (65-66 – II-3). Dans la mesure où l’allaitement à la demande représente la norme pendant toute notre évolution, et au vu des données récentes sur l’obésité chez les enfants nourris avec une formule lactée commerciale, il semble que les enfants nourris avec ces formules lactées commerciales pourraient être suralimentés.

3. Dans la mesure où il n’existe pas de données réellement fiables, le volume de suppléments donnés devrait être le reflet du volume normal de colostrum disponible, de la taille de l’estomac du nouveau-né (qui change avec le temps), de l’âge de l’enfant et de son poids. Les apports pendant le 2e jour post-partum sont généralement plus élevés que pendant le 1er jour, en rapport avec la demande de l’enfant (65). 

4. À partir des données limitées disponibles, les apports suggérés pour un nouveau-né à terme et en bonne santé sont présentés dans la Table 2, bien que ces apports doivent tenir compte des signaux de l’enfant.

Table 2. Apports moyens en colostrum chez les enfants allaités en bonne santé  

                    Moment                                                Apports (ml/tétée) 

           Premières 24 heures                                                 2-10

                 24-48 heures                                                        5-15

                48-72 heures                                                       15-30

                72-96 heures                                                       30-60 

Méthodes utilisées pour donner les suppléments

1. Lorsque des suppléments sont nécessaires, il existe diverses méthodes parmi lesquelles il sera nécessaire de choisir : DAL (dispositif d’aide à la lactation) utilisé sur le sein, tasse, cuillère, compte-gouttes, alimentation au doigt, seringue, ou biberon (67 – III). 

2. Le dispositif de supplémentation optimal n’a pas encore été identifié, et cela pourra varier d’un enfant à l’autre. Tous présentent des bénéfices et des risques potentiels (68). 

3. Lorsque le clinicien devra choisir une méthode alternative d’alimentation, il devra prendre en compte divers critères : 

  • a. Le coût et la disponibilité
  • b. La facilité d’utilisation et de nettoyage 
  • c. Le stress pour l’enfant
  • d. La possibilité de donner la quantité adéquate de lait en 20-30 min
  • e. Si la méthode doit être utilisée pendant peu de temps ou au long cours
  • f. La préférence maternelle
  • g. Les compétences de l’équipe soignante
  • h. Dans quelle mesure cette méthode favorise l’acquisition des compétences au sein du nourrisson.

4. Il n’existe pas de données permettant de penser que ces méthodes présentent des risques ou que l’une est nécessairement meilleure que les autres. Il existe des données permettant de penser que le fait d’éviter les biberons et tétines pour la supplémentation pourra rendre plus facile la reprise de l’allaitement exclusif directement au sein (20, 52, 69 – I). Toutefois, lorsque les conditions d’hygiène ne sont pas optimales, la tasse est le meilleur choix (55). Cette méthode permet également au nourrisson de contrôler son rythme d’absorption du lait (68 – II-2). L’alimentation à la tasse est sûre chez les enfants à terme et chez les prématurés, et elle pourra aider à préserver l’allaitement chez les enfants qui auront besoin de recevoir de nombreux suppléments (52, 70-72 – II-2, I, I, I, II-2).

5. Si des biberons sont utilisés, il pourra être bénéfique de les donner lentement, en particulier chez les prématurés (73 – III).

6. Les dispositifs d’aide à la lactation ont l’avantage de pouvoir apporter une supplémentation adéquate tout en stimulant les seins. Cela favorise l’augmentation de la production lactée, et encourage l’enfant à téter au sein, permet à la mère d’avoir une expérience d’allaitement, et encourage le peau à peau. Toutefois, les mères pourront trouver ce dispositif peu pratique à utiliser, difficile à nettoyer, relativement coûteux, il nécessite un apprentissage modérément complexe, et l’enfant doit être capable de téter efficacement (67). Une méthode plus simple, consistant à utiliser une seringue, un compte-gouttes ou une sonde d’alimentation fixée sur le sein pendant que l’enfant est au sein, pourra être efficace.

7. L’alimentation au biberon est la méthode la plus souvent utilisée dans les pays industrialisés. Toutefois, elle soulève des problèmes, parce qu’elle nécessite des mouvements différents de la langue et des mâchoires, que le flot de lait est plus rapide qu’au sein, ce qui pourra induire un volume plus important (et non nécessaire) de suppléments donnés (67).  Certains experts recommandent l’utilisation d’une tétine à base large et à écoulement lent pour limiter le risque de confusion sein-tétine ou de préférence pour le biberon et imiter la tétée au sein (68, 74 – II-2), mais aucune recherche n’a été menée pour évaluer l’impact de diverses tétines.

Recommandation pour les futures recherches

Des recherches sont nécessaires afin de pouvoir faire des recommandations fondées sur des données probantes concernant les volumes adéquats de suppléments dans des conditions spécifiques, et dans quelle mesure ce volume peut varier suivant qu’on utilise du colostrum ou une formule lactée commerciale.  Les autres points à éclaircir sont les suivants : 

1. Ce volume doit-il être indépendant du poids de l’enfant ou doit-il être calculé en volume / poids ? Les suppléments doivent-ils pallier la perte de poids cumulée ? 

2. Les intervalles entre les repas ou les volumes doivent-ils être différents suivant les différents modes d’administration des suppléments (biberon, tasse) ?

3. Certaines méthodes (nature et mécanisme d’administration) sont-elles préférables pour le bébé dans certaines conditions, âges et ressources disponibles ? Quelles méthodes interfèrent le moins avec la mise en place de l’allaitement directement au sein ?  

Notes

Ce protocole concerne le nouveau-né à terme et en bonne santé. Pour des informations sur l’alimentation et la supplémentation pour le prématuré léger (35-37 semaines), voir le protocole # 10 de l’Academy of Breastfeeding Medicine sur l’allaitement du prématuré léger (75), ainsi que « Care and Management of the late preterm infant toolkit » (76). L’Organisation Mondiale de la Santé est actuellement en train d’actualiser son annexe aux Règles mondiales pour l’Initiative OMS/UNICEF des Hôpitaux Amis des Bébés, « Raisons médicales acceptables de donner un supplément » (77). Cette annexe a été élargie pour inclure les raisons acceptables d’utilisation des substituts du lait maternel chez tous les enfants. Ce document est disponible à : www.who.int/nutrition/topics/BFHI_Revised_Section_4.pdf   

Références

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Les protocoles de l’ABM expirent cinq ans après leur date de publication. Des révisions fondées sur des données scientifiques sont faites au bout de cinq ans, ou plus rapidement s’il y a des modifications significatives des connaissances.  

Comité des protocoles de l’Academy of Breastfeeding Medicine

Wendy Brodribb, MBBS, PhD, FABM, Chairperson
Larry Noble, MD, FABM, Translations Chairperson
Nancy Brent, MD
Maya Bunik, MD, MSPH, FABM
Cadey Harrel, MD
Ruth A Lawrence, MD, FABM
Kathleen A. Marinelli, MD, FABM
Sarah Reece-Stremtan, MD
Casey Rosen-Carole, MD, MPH
Tomoko Seo, MD, FABM
Rose St. Fleur, MD
Michal Young, MD

Appendice

Table A1. Raisons inappropriées de supplémentation dans le contexte d’une mère et de son nouveau-né en bonne santé, réponses et risques

Problème /raison inappropriée(a)
Réponses(b)    
Risques de la supplémentation (c)

CAS 1

a- Il n’y a « pas de lait »(5). Conviction que le colostrum est insuffisant jusqu’à la « montée de lait».

b- La mère et la famille doivent être informées sur les bénéfices du colostrum, y compris sur les mythes concernant sa couleur jaune. La faible quantité de colostrum est normale, physiologique et appropriée pour le nouveau-né à terme.

c- Peut modifier la flore intestinale de l’enfant et son microbiome (86, 87). Peut le sensibiliser à des protéines étrangères (88, 89). Augmente le risque de diarrhée et autres infections, en particulier en cas de mauvaise hygiène (3). Peut compromettre l’équilibre entre l’offre et la demande, être à l’origine d’une production lactée insuffisante et d’une supplémentation au long cours.

CAS 2

a- La supplémentation est nécessaire pour prévenir la perte de poids et la déshydratation en période post-natale (5).

b- Un certain degré de perte de poids est normal pendant la 1ère semaine de vie, elle est liée à la diurèse du liquide extracellulaire et à l’émission du méconium.

c- La supplémentation pendant la 1ère semaine peut interférer avec la fréquence normale des tétées. La supplémentation avec de l’eau pure ou sucrée augmente le risque d’ictère (90), de perte de poids excessive (91) et de séjour plus long en maternité (92).

CAS 3

a-Le bébé pourra présenter une hypoglycémie.

b-Les nouveau-nés à terme et en bonne santé ne développent pas une hypoglycémie en résultat d’une pratique d’allaitement sub-optimale (15). 

c-Même risque que ci-dessus.

CAS 4

a- L’allaitement augmente le risque d’ictère en post-partum.

b- Plus les tétées sont fréquentes, plus la bilirubinémie baisse (93, 94). La bilirubine est un puissant anti-oxydant, et l’ictère est normal chez les nouveau-nés. Le colostrum agit comme un laxatif naturel qui aide à éliminer le méconium riche en bilirubine (94).

c-Même risque que ci-dessus.

CAS 5

a- Pas assez de temps pour informer la mère sur l’allaitement exclusif lorsqu’elle demande un supplément.

b-Former tous les soignants sur l’aide aux mères allaitantes. Les mères peuvent bénéficier d’une information sur les formules lactées commerciales et/ou sur la façon dont les suppléments peuvent affecter négativement la poursuite de l’allaitement (29). Le temps passé par les soignants à écouter les mères et à parler avec elles est au moins aussi important que les autres interventions plus actives (qui pourraient être davantage perçues par elles comme un « vrai travail » (29).

c- Si le bébé reçoit une formule lactée commerciale, qui reste plus longtemps dans l’estomac (96) et qui est souvent donnée en plus grande quantité (66), le bébé tètera moins souvent. En fonction de la méthode de supplémentation (52, 74), ou du nombre de suppléments donnés (97), le bébé pourra avoir du mal à reprendre le sein. Les produits donnés avant la montée de lait (de façon indépendante d’une supplémentation) pourront induire une montée de lait retardée, et avoir un impact négatif sur l’exclusivité et la durée de l’allaitement (98). 

CAS 6

a- Prise de médicaments contre-indiquant l’allaitement.

b-Des données correctes sont disponibles pour les prescripteurs : Medications and Mothers’s Milk 2017 (99), LactMed sur le site Toxnet (15). Dans la plupart des problèmes médicaux, il est possible de prescrire un trraitement sans danger pour les mères allaitantes et leurs bébés.

c- Risque d’abaisser la durée de l’allaitement ou celle de l’allaitement exclusif (9, 10).

CAS 7

a- La mère est trop malnutrie ou trop malade pour allaiter, ou son alimentation est de mauvaise qualité.

b-Même une mère malnutrie peut allaiter. La qualité et la quantité du lait sont affectées uniquement dans des circonstances extrêmes.

c- Même risque que ci-dessus.

CAS 8

a- La supplémentation permettra de calmer un bébé agité ou inconsolable (5).

b-Les nouveau-nés peuvent pleurer pour de nombreuses raisons. Ils peuvent vouloir téter très souvent, ou avoir simplement besoin de passer plus de temps en peau à peau ou à être bercés (67). Remplir (et souvent plus que remplir) l’estomac avec un supplément pourra faire dormir le bébé plus longtemps (96), et supprimer d’importantes opportunités de prendre le sein ; cela représente pour la mère une solution à court terme qui peut présenter des risques à long terme pour la santé. Montrer à la mère des techniques pour calmer son bébé, telles que la mise au sein, l’emmaillottement (ne pas mettre le bébé sur le ventre ou sur le côté – 100), bercer le bébé, chanter, ou encourager le père ou d’autres personnes présentes à aider. Il est nécessaire de ne pas ignorer les signaux précoces de faim de l’enfant (101). Veiller à une prise efficace et confortable du sein pour maximiser les signaux envoyés au corps de la mère et les apports de l’enfant.

c- Même risque que ci-dessus. De plus, la mère pourra présenter un engorgement suite à la baisse de la fréquence des tétées en post-partum immédiat (54).

CAS 9

a- Inquiétude maternelle au sujet de la cause des tétées fréquentes, des tétées groupées, ou d’autres modifications dans le comportement de son bébé.

b- Les périodes pendant lesquelles le bébé demande plus souvent à téter pourront être interprétées par la mère comme le signe d’un manque de lait. Cela peut arriver plusieurs semaines plus tard, mais également pendant la 2e ou la 3e nuit (48-72 heures) après la naissance. Des modifications de la fréquence des selles peuvent survenir après 6-8 semaines, et peuvent également être interprétées comme un manque de lait. Le don anticipé d’information sur le développement et le comportement normal d’un nourrisson sera utile.

c- Risque d’abaisser la durée de l’allaitement ou celle de l’allaitement exclusif.

CAS 10

a- La mère a besoin de se reposer ou de dormir.

>b- Les mères en post-partum ont du mal à se reposer si elles sont séparées de leur nourrisson, et en fait elles obtiennent moins de repos (29). Les mères perdent l’opportunité d’apprendre le comportement normal de leur bébé et ses signaux précoces de faim (48). Le risque de supplémentation est le plus élevé le soir et la nuit, entre 17 heures et 9 heures (102).

c- Risque d’abaisser la durée de l’allaitement ou celle de l’allaitement exclusif.

CAS 11

a- La mère a les mamelons douloureux, et on pense que cela s’améliorera si elle fait une pause dans l’allaitement.

b-Les mamelons douloureux ne sont pas fonction de la durée des tétées. La position au sein, la prise du sein et certaines variations anatomiques (comme l’ankyloglossie) sont plus importantes (103). Il n’existe aucune donnée montrant que limiter la durée des tétées prévient les problèmes de mamelons douloureux. Normalement, les mamelons ne sont pas écrasés ou frottés pendant les tétées, même si elles sont fréquentes ou groupées (104).

c- Cela ne résoudra pas la cause à l’origine du problème. Risque d’abaisser la durée de l’allaitement ou celle de l’allaitement exclusif. Risque d’engorgement. 

Appendice A2 : Exemple d’algorithme pour le suivi de la nutrition infantile en maternité

Etape 1 : Période prénatale et admission en maternité

Etape 2 : Lorsqu’une mère ou la famille demande le don de formule lactée commerciale en supplément

Etape 3 : Déterminer la nécessité médicale d’une supplémentation et prendre la décision